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ELEMENTS EUROPA  L’EUROPE À CONTRE-JOUR  13

est le reflet involontaire d’une unité désirée mais tourmentée. Le nouveau
siège du Conseil européen sera inauguré, alors que le Royaume-Uni fait
sécession. L’Europe s’est construite par degrés croissants de complexité,
elle semble chercher aujourd’hui plus de complexité encore, bien qu’en
étant poussée en sens inverse vers la décroissance, vers l’amputation. Son
emblème architectural en sortira-t-il affaibli ou renforcé ? Nul ne peut le
dire, sauf que l’actualité rend davantage attentif à la subtilité d’un édifice qui
ne tend à l’unité que sous les espèces visibles d’un assemblage polymorphe.
Europa semble protester contre l’illusion d’une Union fondée sur un principe
factice d’unanimité ou d’indivisibilité. Son architecture rappelle à quel point
l’unité ne peut exclure a priori le risque de la discorde, voire de la dislocation.
Sa valeur iconique vient de la netteté avec laquelle elle tient assemblés ses
géométries opposées, ses registres de matériaux différenciés. Le patchwork
de bois de ses façades est l’enveloppe et la parure hétéroclite de son cœur
de verre. Par-delà l’enchevêtrement de ses significations possibles, le
message délivré est d’une clarté impeccable : pour assurer la cohésion de
ses forces combinées, l’architecture s’enveloppe de la diaprure des conflits
possibles et des différences. L’extériorité réclamée désormais par le vote de
l’Angleterre y fait écho brutalement : le suffrage populaire est venu rappeler
qu’il n’est d’union que volontaire et réversible. En architecture, cet art si
politique, il n’est de vertu édificatrice qu’après qu’ont été dominés et rejetés
les fantasmes de la masse non disjointe et de l’immobilité des pierres.
	 L’architecture d’Europa est celle de sa composition et de sa géométrie.
Ses strates verticales, courbes ou rectilignes ; ses plans emboîtés,
quadrilatères ou elliptiques : sa structure spatiale résiste formellement et
fonctionnellement à la simplification, à l’uniformité. Elle assume par avance
l’ambivalence des jugements dont son propre polymorphisme pourra faire
l’objet, à l’image de l’institution qu’elle représente. C’est toute la difficulté de
l’espace politique et culturel européen. L’Europe est omniprésente en droit,
mais, sinon au plus fort des crises qu’elle traverse, obstinément absente
du discours politique et du débat. L’Europe est riche de ses cultures mais
perpétuellement hésitante ou contrariée dans ses manifestations publiques.
Construire pour elle une architecture adaptée aux besoins nés de son
élargissement et de son renforcement politique, telle fut la raison première
de la construction du nouveau siège. Mais, pour un tel symbole, l’architecte
dut faire concourir les principes ordinairement opposés de la représentation
emblématique et de la stricte économie : ce fut cette dialectique qui inspira
Philippe Samyn et guida le maître d’œuvre dans le labyrinthe des choix. Le
souci d’expliquer et de justifier une telle architecture a conduit à présenter
au public non seulement les orientations qui ont commandé à sa conception
générale et défini les phases d’édification de ses structures principales (cf. le
premier volume d’Europa, Lannoo/CIVA, 2013), mais désormais le détail des
éléments de sa construction jusqu’à ses ultimes parachèvements.
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