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ELEMENTS EUROPA  143

4 LES APORIES D’EUROPA

Quelle influence cela doit-il avoir sur un peuple s’il
n’apprend pas de langues étrangères ? Sans doute
un peu la même que l’éloignement de toute société
aurait sur un homme seul.
Georg Christoph LICHTENBERG, extrait du recueil

présenté et traduit par Jean-François Billeter, Lichtenberg, Paris,
Allia, 2016, p. 56. L’auteur renvoie à l’édition allemande établie par
Wolfgang Promies, Schriften und Briefe, vol. 1, Munich, Hanser, 1968.

                                                Dans le mot Europa, on peut lire le mot aporie (à une lettre près).
                                                L’anagramme inscrite dans le nom choisi par le Conseil européen nomme
                                                l’impasse logique, du moins donne-t-elle l’image en miroir, inversée, de
                                                la difficile solution du problème européen. Quel problème ? Il est double :
                                                l’unité politique de l’Europe n’est qu’anticipée dans la construction de ses
                                                institutions, sa pleine réalisation soumise aux résolutions successives et
                                                aux traités qui incarnent étape après étape l’actualisation de ses principes
                                                communautaires de subsidiarité et de solidarité, sinon de souveraineté
                                                partagée. Cette lente construction s’est donné pour règle à la fois
                                                l’unanimité dans les décisions et la responsabilité devant les peuples, sous
                                                forme directe (le référendum) ou indirecte (la ratification par les parlements
                                                nationaux). À l’image de cette exigence d’un idéal démocratique, l’Europe
                                                politique est conçue, imaginée, sur la base de la diversité de ses langues et
                                                de ses cultures, et c’est la seconde face du problème. Ses langues officielles
                                                sont admises à égalité dans le concert des vingt-huit pays de l’Union (y
                                                compris le Royaume-Uni, avant le Brexit). Pas de version originale des
                                                textes produits par les institutions européennes, pas de référence unique :
                                                l’échange multilingue et la traduction universelle sont la règle. La solution
                                                aux problèmes de la diversité, c’est l’Europe et rien qu’elle ! Celle-ci tente
                                                d’assumer, année après année et, voudrait-on croire, crise après crise, la
                                                dimension utopique de son projet politique, la condition cosmopolitique
                                                de sa vision de la paix et de la vie publique sur le continent.
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