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ELEMENTS EUROPA L’ELLIPSE BAROQUE ET SES CORRIDORS 61
L’ellipse se prête à plusieurs lectures de sa géométrie. Une lecture
historique reconnaîtrait dans sa figure une expression cosmologique (la
course planétaire et les lois de Kepler ; la mécanique céleste et la théorie
gravitationnelle de Newton) ; une famille topologique (les sections
coniques) ; une construction graphique (la courbe engendrée depuis son
double foyer selon le tracé dit du jardinier). C’est bien tout un registre de
notions mathématiques, cosmologiques, esthétiques qui est mis en jeu dans
la forme des plans empilés de la lanterne. Or, le dessin d’une géométrie
ne devient pas une architecture sans réveiller nombre de réminiscences
ni véhiculer des valeurs généalogiques. Cette puissance d’évolution et cet
épanouissement du dessin sont l’essence même de l’architecture. Il faut
donc admettre cette difficulté de la réflexion sur les œuvres bâties : celles-ci
sont capables et riches de plus de raisons et d’idées après qu’elles ont été
achevées qu’il n’y en eut jamais aux différents stades de leur conception. Les
effets cumulés de la construction, de la réception et de l’usage ne sont pas
intégralement prévisibles ni représentables dans les anticipations visuelles
auxquelles même le plus habile dessinateur a pu se livrer. L’architecture
est une mémoire des formes et de leur structure intellectuelle bien plus
profondément qu’elle ne l’est des styles et de l’histoire même. Les projets les
plus créatifs ressuscitent les archétypes.
Des galeries cernent les salles de conférence sur leur pourtour, à l’arrière
des façades de la lanterne et de sa grande structure de métal et de verre.
Les couloirs d’accès aux cabines d’interprètes longent la paroi intérieure
vitrée, formant des espaces parmi les plus surprenants de l’édifice. À la fois
corridors périphériques et coulisses des plateaux où se tiennent réunions
et cérémonies, ces galeries circulaires sont exposées en second jour à la
lumière naturelle et offrent une respiration nécessaire tout autour du huis
clos des salles principales. À travers les bandes en sérigraphie du décor
de la lanterne, les vues donnent sur l’atrium et sur les faces intérieures du
patchwork de fenêtres. La ligne courbe du parcours suit les flancs de la
lanterne, son profil en plan se rétrécissant ou s’élargissant insensiblement
d’un étage à l’autre. Les galeries offrent un espace de déambulation,
indispensable au confort et propice à l’imagination, à la spontanéité
intellectuelle de tous les occupants et officiants. Comment en faire sentir les
qualités de suggestion et de stimulation esthétiques ?
La ligne courbe crée une perspective fuyante (lorsque l’on pénètre dans
ces galeries, on n’en voit pas le bout), tandis que les grands trapèzes vitrés de
la paroi livrent des aperçus plongeants sur le dehors. La coursive serpentine
ou la galerie circulaire ne sont pas non plus une nouveauté en architecture,
il en existe des exemples dans de grands bâtiments d’habitation, des théâtres
ou d’autres équipements, voire dans des réalisations de Philippe Samyn
lui-même (immeuble Boulanger à Waterloo ; comptoir forestier à Marche-
en-Famenne ; maison unifamiliale à Manneriehof). Mais il y a ici davantage
qu’une pièce de circulation ou qu’un corridor. Car la galerie s’enroule