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l’environnement forment un continuum d’information et d’opérations, qui fait de
l’architecture moins un art de la forme qu’un art des schémas et des systèmes, et
de ses artefacts moins des objets plastiques que l’expression d’une intelligence
des milieux. Dans un second dessin, les traits sont pochés, en rouge, en bleu,
rendant plus évidente la consistance matérielle, et quasi physiologique, du réseau
aéraulique. La structure (le squelette) n’apparaît plus : ce ne sont plus que des ar-
tères qui pulsent l’oxygène aspiré par ce haut corps fermé sur lui-même, bien que
densément occupé. C’est un dessin d’expert : ce qu’il s’attache à montrer, une
fois construit, ne sera plus lisible que sur écran, accessible par segments codifiés
ou d’après un synopsis. À l’inverse des hypocrites images de rendu, il n’exhibe ni
ne flatte les apparences, il représente les linéaments invisibles d’une architecture
de l’air.
Dans cette physique du bâtiment, les solutions les plus raffinées s’adaptent aux
besoins les plus primitifs (respirer ; être à l’abri ; en sécurité). Philippe Samyn
rappelle souvent qu’un bâtiment n’est pas une machine, qu’il est fondamen-
talement statique. Et pourtant l’architecture intègre la dynamique de l’air, celle
de l’eau… et, en cas de sinistre, celle du feu. L’humidité de l’air est contrôlée,
les variations thermiques régulées. L’eau pluviale est utilisée dans les circuits
sanitaires ; les pluies d’orage recueillies dans des réservoirs. Le système
d’aspersion en cas d’incendie
(sprinklers)
est en veille dans les plafonds. Il
est frappant de voir à quel point l’intérêt pour la structure, pour son système
statique, se double d’une attention au comportement du bâtiment, à ses interac-
tions avec le milieu physique ambiant. L’ingénierie invente ou utilise les procédés
qui modifient le rapport à la lumière, à la chaleur et au froid, à la qualité de l’air.
La sophistication des procédés fait apparaître les mots d’ordre du Mouvement
moderne (l’espace ; la lumière) comme naïfs sinon grossiers. Les bâtiments ont
cessé de se dresser comme des monuments marmoréens face à des paysages
immuables : ils ne sont plus grecs ni romains ; ils ne sont pas davantage des
ma-
chines à habiter ;
ce sont à la fois des œuvres d’art et des artefacts destinés à
la compréhension des milieux vivants. La qualité de leurs ambiances dépend
de leur capacité régulatrice, homéotherme ; leur comportement dans le temps
comme leur pérennité, de leur relation équilibrée à des conditions fluctuantes.
L’architecture négocie discrètement ses rapports avec la durée, ses affectations
éventuellement changeantes, ses conditions de maintenance, sa destruction
possible. On la souhaite « durable »… Elle est à la fois artificielle et vivante, c’est-
à-dire démontable et mortelle : beauté de ce cœur mécanique en tout cela.
La création au sommet de l’édifice d’une pergola destinée à soutenir une nappe
de cellules photovoltaïques posait la question des moyens d’accentuer ou de
limiter l’impression créée par le caractère composite du nouvel ensemble.
Fallait-il que la pergola couvre la totalité de la toiture de manière à rendre
possible une vision unitaire du bâtiment ? Ou bien devait-on conserver à la fa-
çade classée son couronnement initial et ne couvrir que les parties nouvelles ?
La première option a été choisie, elle confère au bâtiment une unité de gabarit
sinon de profil ; elle lui octroie une plus grande efficacité énergétique. En réalité,
l’édifice d’origine se couvrait déjà d’une pergola : elle était chic et snob, servait
aux soirées dansées de la Belle Époque. Aujourd’hui, la pergola porte les atours de
l’élégance environnementale.
Prenez l’architecture baroque. Il n’y a même
pas besoin de donner des exemples parce
que c’est la constante du baroque, chez
Guarini, chez Borromini, chez Le Bernin.
Finalement, sans porte ni fenêtre, ça évoque
quoi chez vous ? C’est évidemment l’idéal
de quoi ? C’est l’idéal, je dirai, aussi bien de
la cellule, de la sacristie, de la chapelle, du
théâtre, c’est-à-dire de tous les lieux où ce
qu’il y a à voir, ou bien s’adresse à l’esprit,
la cellule du moine, ou bien est intérieur
à la pièce, le théâtre. (…) Ce qui attend le
baroque, c’est la constitution comme idéal
architectural de la pièce sans porte
ni fenêtre.
Cours de
Gilles Deleuze
, 20/01/1987,
Université de Vincennes / Saint-Denis.
Combinaison des modèles 3D des réseaux aérauliques et
de la charpente métallique de la lanterne et des foyers, 2012.
LE CŒUR AÉRAULIQUE
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