Page 202 - ELEMENTS EUROPA (FR)
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Si l’on retourne aux coulisses de la lanterne, à leurs couloirs qui
s’enroulent autour des salles de conférence, suivant les contours de leur
plan elliptique, on y découvrira l’épitomé du savoir de l’architecte en matière
de technique et d’art. L’effet produit par les lignes courbes est sidérant, on
ne peut que tenter de comprendre pourquoi. Qu’en marge des réunions
officielles et de leurs temps forts, des conversations aient lieu dans les
couloirs, quiconque se fait une idée de la rudesse des échanges dans le
huis clos des enceintes officielles l’admettra sans peine. Mais ces espaces-
là ne sont pas des foyers, leur fonction est restreinte pour l’essentiel à la
circulation des interprètes rejoignant ou quittant leurs cabines. Ces corridors
n’en sont pas moins attirants, grâce à la lumière naturelle qui les éclaire en
second jour et aux impressions que fait naître leur forme : celle-ci révèle plus
qu’en n’importe quel autre endroit de la lanterne la beauté un peu mythique
de ce globe de verre.
Les formes incurvées en plan et en coupe, la courbe horizontale au
sol et celle qui suit le galbe de la lanterne dans le plan vertical conjuguent
leurs effets dans l’espace. Leur perspective fuyante met sur la voie
d’une compréhension possible de leur architecture. Il ne s’agit pas ici
d’apprécier les seules apparences esthétiques ni d’évaluer l’efficacité d’une
démonstration technique ; juste de s’attacher aux effets proprement spatiaux
de la forme habitée. Un couloir courbe, on n’en perçoit pas le bout, c’est le
profil de sa paroi qui est visible et non les portes vers lesquelles il conduit.
Dans la lanterne d’Europa, le parcours le long des galeries vitrées offre les
sensations de la course d’un manège au-dessus de l’atrium, survolant le
grand vide où brillent les reflets de ses milliers de fenêtres. Le vitrage épais
est celui des panneaux de verre revêtus de leurs rayures blanches, taillés en
forme de trapèze et profilés, un à un, selon le double rayon de courbure du
ventre de la lanterne.
Exemple de détail « esthétique » : ces panneaux de verre, comment
les voit-on ? À l’échelle du couloir étroit, c’est à peine si l’on perçoit la
différence entre le plat et l’incurvé. La représentation de la forme globale,
spontanée ou reconstruite, de l’édifice rend inconsistante l’hypothèse d’un
assemblage à facettes plates. La courbure individuelle des panneaux est
presque insensible, mais la compréhension de l’ensemble spatial auquel ils
appartiennent met sur la voie d’une perception ajustée, rendue attentive à
la forme individuelle de chacune des parties. C’est un exemple typique de la
théorie des ordres de grandeur. En deçà d’une certaine mesure, la différence
est imperceptible. Or, le détail est à la fois la question et la réponse : il est
régi par un ordre qui est d’abord celui de la perception. Il donne prise à
l’interrogation esthétique aussi bien que technique ; il dépend en profondeur
de la matrice du projet d’architecture, en son envergure synthétique.