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7 LES RAISONS DU DÉTAIL
L’acuité perceptive passe par la connexion verbale.
Exercer cette acuité, l’intensifier, l’étendre, c’est un devoir.
Je parlerais d’éthique, si j’étais sûr d’être entendu. Par
prudence, je parlerai plutôt de devoir politique. On invoque
souvent la vigilance ; elle ne sert de rien, si elle n’est pas
accompagnée d’hyperesthésie. Quand il s’agit des propos et
des conduites, il ne suffit pas d’observer, il faut discerner les
détails. Il ne suffit pas de recevoir
passivement le matériau, il faut le Le problème de la fonction et de la signification du détail architectural a
traiter activement. La culture tourne été évoqué deux fois : à propos de la relation de l’architecture (les volumes
au déchet, si on la laisse dans l’état et les parois ; les matériaux) avec le décor, et au sujet de la liaison des
où on l’a trouvée. La culture ou ordres de cette architecture (niveaux, travées, murs, percements) avec ses
plutôt les cultures, diverses par parachèvements (revêtements, menuiseries, qualités de l’épiderme). Dans
leurs langues et par leurs objets, les deux situations, l’architecte recherche la continuité perçue des ordres
sont une matière parlante qu’il faut de grandeur : comme on compte spontanément les étages pour apprécier
manipuler. Alors seulement peut l’échelle d’un bâtiment, on use de mesures sensibles pour évaluer les
advenir le bénéfice espéré. Qui traite dimensions ou les caractéristiques spatiales d’une pièce ou d’un ensemble
les discours comme une matière à de pièces. Les perceptions se succèdent les unes aux autres à travers des
travailler, entend et voit mieux les enchaînements que rythment éventuellement une série de poteaux, la
réalités. Qui entend et voit mieux répétition d’un module dimensionnel ou d’un type d’assemblage, le retour
les réalités est moins facile à d’une forme particulière, d’une modénature, d’un repère matériel, voire
domestiquer. d’un intervalle entre les objets. On lisse des yeux sinon des mains la surface
Jean-Claude MILNER, La Puissance du d’un mur, d’un plafond, pour se représenter sa consistance tectonique, sa
détail. Phrases célèbres et fragments en réponse aux forces de la gravité et à leurs cheminements mécaniques, sa
philosophie, Grasset, coll. « Figures », 2014, p. 9. résistance à la fatigue. Il ne peut y avoir de connaissance de l’architecture
sans cet entraînement à l’inspection visuelle, au discernement sensible
et intellectuel de ses « éléments ». Le détail capte l’attention, il la guide.
Il la sollicite de manière parfois paradoxale : sa perception est discrète,
analytique, elle tend à décomposer les objets en parties disjointes ; son
dynamisme la porte cependant à rechercher la jointure, la continuité, à les
souhaiter aussi « naturelles » que possible ; le coup d’œil de l’architecte y
voit un pur produit de l’art. La résolution du détail n’est pas seulement le
gage de la maîtrise technique, elle est le signe d’une qualité finale, obtenue
au terme du long processus qui conduit du problème à sa solution. Cette
qualité est de confort : visuel, tactile, acoustique, d’éveil provoqué contre
les assoupissements de la sensibilité ! Une qualité d’usage, jointe autant que
faire se peut à une stimulation esthétique.