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EUROPA
2013.09.05
l’insertion obligée dans l’existant. Philippe Samyn l’admet volontiers : l’implanta-
tion du nouveau siège est modeste, voire incongrue. Il y voit la volonté de l’État
belge et de l’Union européenne de l’installer sans tapage ni effets de mise en
scène dans les tracés légués par l’histoire de l’urbanisme bruxellois, aux prises ici
avec les besoins immobiliers des institutions européennes.
Derrière les façades en patchwork, un haut atrium cerne la partie de l’édi-
fice destinée aux conférences et aux cérémonies, elle-même en appui,
à la manière d’une colonne engagée, sur les plateaux recréés de l’ancien
immeuble. L’atrium entoure autant qu’il est entouré, c’est un espace vide sous
les verrières, et qui magnifie les intervalles entre les composantes du projet.
Il s’inscrit dans l’histoire typologique de l’atrium moderne. Par l’implantation
en bordure d’une grande voie, par la volumétrie cubique, par le profil d’une
double façade transparente placée en angle sur la rue, par la hauteur (onze
niveaux au-dessus du rez-de-chaussée), l’ensemble du bâtiment présente
une silhouette qui fait penser à la
Ford Foundation
de Kevin Roche, John
Dinkeloo & Associates (1968), à New York [voir la réappréciation critique
de ce bâtiment, proposée récemment par l’architecte Lebbeus Woods :
/], en dépit
de toutes les dissemblances. Les choix constructifs ne sont pas les mêmes, le
couronnement est fait d’un lourd entablement à New York ; d’une pergola et
d’une grille de panneaux solaires à Bruxelles. Aucun recyclage de matériaux an-
ciens ne vient enrichir de leur saveur historique ni de leur poétique composite les
façades puritaines de l’édifice new-yorkais. Il n’empêche : les deux institutions,
dans chaque cas, posent un fanal au coin de la rue, et offrent à leurs espaces in-
térieurs respectifs une échelle urbaine propice au dialogue avec le site alentour.
Au-delà de cette similitude d’échelle et de prospect, la différence est évidente :
le bâtiment dessiné par Philippe Samyn n’élève pas seulement des façades inté-
rieures, pas plus qu’il n’aménage des balcons au-dessus d’un vide central. Il fait
plutôt rayonner son atrium depuis un objet pivot – une cour vitrée s’enroule
autour d’un volume central arrondi, lequel rompt l’orthogonalité et le tombé ver-
tical des façades périphériques. L’atrium sert d’espace d’accueil et de circulation,
dans une composition qui inscrit la courbe d’un ovale à l’intérieur du plan carré.
La double façade de verre met ce vaste
lobby
à l’abri des nuisances de la
rue, sans se couper d’elle visuellement. La continuité urbaine s’oppose
ici au dévoiement du thème de l’atrium, comme c’est le cas chaque fois
qu’un espace vide intérieur devient captif de bâtiments outrageusement
hermétiques. Rem Koolhaas souligna naguère le rôle délétère des atriums
conçus par John Portman, à Atlanta (Georgia) : au lieu d’une ouverture de l’édi-
fice pour faire entrer l’air et la lumière, l’atrium y est devenu un vide enfermé,
« scellé contre le réel »
(sealed against the real)
, c’est-à-dire opaque à toute
vie urbaine. L’atrium des grands hôtels, des condominiums, des centres com-
merciaux : un
ersatz
de centre, une désintégration de la ville au profit d’isolats
architecturaux monstrueux : « plus ces formes autonomes sont ambitieuses, écrit
Koolhaas, plus elles minent le véritable centre – son désordre, sa complexité, ses
irrégularités, sa densité, sa diversité ethnique » [« Atlanta »,
in
Rem Koolhaas
et al.,
SMLXL,
1995, p. 843].
Les façades de l’Atrium
Les façades de l’atrium referment en cube
le bâtiment existant en forme de L. Elles se
composent d’une façade interne portante
et d’une façade externe qui y est sus-
pendue. La façade ne repose que sur
ses extrémités du côté de la rue de la
Loi. D’une portée de 48,6 m, elle porte
également une partie du plancher du rez-
de-chaussée, qui est indépendante de la
couverture du tunnel.
La façade se compose de modules
rectangulaires de 5,40 m de longueur et
de 3,54 m de hauteur, avec des croix de
Saint André. Cette géométrie engendre un
très haut degré d’hyperstaticité rendant
la façade très rigide en son plan, puisque
l’ensemble, en profils reconstitués d’une
profondeur uniforme de 30 cm, est
entièrement soudé. La plus grande légèreté
possible est obtenue en faisant varier tant
l’épaisseur des plats que la largeur des
profils en fonction des efforts qu’ils doivent
reprendre. Ceci permet une lecture de
la trajectoire des forces dans la structure
d’acier. La façade interne du côté du Justus
Lipsius repose sur sept colonnes dont l’une
quelconque d’entre elles peut disparaître
sous l’effet d’une explosion sans affecter
la stabilité de l’ensemble.
Dr Ir
philippe samyn
L’ENTRE-DEUX DES PAS PERDUS
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