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EUROPA
L’intervention picturale aspire
à l’œuvre globale
« J’ai conçu mon intervention, écrit le
peintre, comme une œuvre globale.
Elle réunira par phases les vitrages « mon-
drianoïdes » des façades aux rythmes
réguliers du cœur, de l’œuf ou du luminaire,
selon que l’on considèrera la localisation, la
forme ou l’éclairage de l’élément central. Le
décor intérieur en fera plutôt le creuset où
s’effectuent les transmutations auxquelles
invitent les transparences, permutations et
transpositions de figures (…). L’usager en
croisera ou en empruntera des instants sur
les centaines de portes de treize types qui
rythment les couloirs (…). Il verra défiler de
vastes développements verticaux sur les
parois des trémies des quatorze ascenseurs
desservant onze niveaux.
Il foulera les tapis en laine de trois salles
de conférences, de deux salles de cérémo-
nie, des foyers des salles et d’un restaurant.
Tête levée, les plafonds (assez bas) des foyers
et des salles présenteront, articulation par
articulation, les compositions les plus com-
plexes – des combinatoires de quadrilatères
en feutre de laine teinté dans la masse (…).
Il ne percevra des tapis que les successions
de fragments arpentés. Ces détails illus-
treront la singularité de chaque identité
colorée et l’activité des interrelations entre
les identités. »
Georges Meurant
le blanc de la paix entre les communautés. Entre pays voisins, les nuances sou-
lignent la distinction : le bleu marine des Pays-Bas ; le bleu ciel du Luxembourg.
Couleurs et figures entrelacent les héritages, imbriquent les traditions impériales et
insulaires : l’
Union Jack
du Royaume-Uni, intègre en son emblème la croix de
Saint-Georges (médianes rouges sur fond blanc), symbole de l’Angleterre ; la
croix de Saint-André (diagonales blanches sur fond bleu outremer), symbole de
l’Écosse ; la croix de Saint-Patrick (diagonales rouges sur fond blanc), symbole de
l’Irlande.
Vestiges permanents d’une histoire politique, militaire, religieuse, les drapeaux
déroulent des histoires mouvementées, rappellent les faits d’armes, les rébel-
lions, les restaurations, les révolutions. Les républiques disputent leurs couleurs
aux royaumes ; les régions aux nations. Divisions et cantons sont repris de bla-
sons, d’étendards et d’enseignes ; la composition, sa structure, ses armoiries
parfois, sont modifiées, substituées, restituées. Les symboles, aristocratiques ou
populaires, puisent dans un vaste nuancier. Ils perdurent dans les oriflammes, les
pavillons maritimes, les emblèmes civils. Chaque pays entretient sa légende. En
Bulgarie, le blanc veut symboliser la paix, le vert la fertilité des terres, et le rouge
le courage du peuple. En Pologne, l’accaparement étatique des symboles natio-
naux sous le régime communiste transforma le geste de hisser le drapeau en un
symbole de résistance. Solidarność s’en empara.
La conscience du rôle historique de la couleur devrait permettre d’imaginer
des emblèmes européens moins neutres que la bannière bleue étoilée. Rem
Koolhaas (OMA/AMO), répondant à une invitation de Romano Prodi, alors pré-
sident de la Commission européenne, avait installé en 2004, un chapiteau
de cirque sur le rond-point Robert Schuman, pivot du Quartier européen de
Bruxelles. L’histoire récente de l’Europe y était contée, dans le but de stimuler
une conscience de soi, aujourd’hui inhibée par le doute et la sous-estimation :
l’identité visuelle du continent y devait être réveillée par un jeu très explicite
avec ses multiples composantes, le mélange de ses cultures assumé sous l’im-
pulsion d’une créativité libérée. Le langage narratif y était, pour l’histoire, celui
de la BD ; pour l’identité graphique, celui d’un code barre devenu multicolore.
À Europa
,
la couleur, cette fois déployée au cœur du
Flagship
du Conseil euro-
péen, concentre et diffuse les énergies d’une combinatoire enflammée.
Les couleurs parlent plusieurs langues. Celle de l’héraldique, par exemple. Or, « la
force de l’héraldique, écrit Michel Pastoureau, vient de ce qu’elle donne toujours
priorité à la structure sur la forme et à l’impression d’ensemble sur le détail de
chaque élément ».
PLATEAUX, LANGUES ET COULEURS
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