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EUROPA
Les premiers tracés de Philippe Samyn, au moment de concevoir l’archi-
tecture des salles superposées de la lanterne, montrent sa volonté de
produire une image de la diversité des cultures européennes, à la fois
principe et facteur du dynamisme de l’Union. Les loges d’interprètes supportent
la charge des entrelacements linguistiques qu’impose le régime d’un gou-
vernement polyglotte, aux vingt-quatre langues nationales : toutes ont droit
de cité dans les institutions européennes, même si peu d’entre elles sont
utilisées comme langues de travail. Le décor architectural, à l’intérieur du nouveau
bâtiment, se doit de porter un message visuel et tactile, qui soit celui de l’effort
créatif permanent, et d’un débat politique constamment tenu de desserrer les
contraintes de sa propre complexité historique. Car s’il est difficile de résister
aux tendances entropiques des grands appareils de gouvernement, il est
nécessaire, ici plus que n’importe où ailleurs, de se prémunir contre l’uniformité
et le nivellement des identités. L’image de l’Union est mal servie par son drapeau
bleu aux douze étoiles, conçu à une époque où les membres étaient moins
nombreux, et où la perspective de futurs abandons de souveraineté, de la part
des États, était à peine imaginable. Le cercle des douze étoiles est une image
trop pâle des multiples constellations institutionnelles, sociales, culturelles qui
structurent la conscience européenne. Plus l’Europe s’étend et s’approfondit, plus
elle doit protéger les prémices de sa puissance partielle et débutante contre les
tensions issues d’héritages inextricables. Or, dans des salles fermées où l’avenir
du continent est régulièrement remis en jeu, comment pratiquer l’esprit d’ouver-
ture et faire fructifier les indispensables ressources de la diplomatie et des usages
communautaires, indispensables aux progrès de l’Union ? Et où surmonte-t-on
jamais les conditions de « l’enfer » du face-à-face avec « les autres » ? Au théâtre,
et seulement là. Le décorum, dans ces lieux de réunion que la sécurité oblige à
isoler, crée donc des théâtres, où puissent se jouer des pièces aux textes sérieux
et aux confrontations dramatiques, mais sur une scène propice aux dénouements
intelligents. Il est difficile d’imaginer une pièce réussie dans un décor fade. Le
foisonnement de la couleur, dans des salles sans fenêtres, équilibre le frisson du
huis clos.
Pour le décor des salles de conférences, les drapeaux de l’Union européenne
inspiraient dès l’origine un patchwork de teintes et de motifs. Les drapeaux des
vingt-huit États de l’Union (avec la Croatie) sont un réservoir de couleurs et de
figures. Bandes horizontales ou verticales, de proportions égales ou inégales,
enrichies d’armoiries (Espagne, Portugal), revêtues d’un écu (croix de Saint-
Georges bordée de rouge du drapeau de Malte ; écu national de la Slovaquie ;
blason de la Slovénie, à cheval sur ses bandes blanche et bleue). Les couleurs sont
réputées porter les symboles d’une histoire (le blanc de la monarchie ; le bleu et
le rouge de la garde municipale parisienne, preneuse de la Bastille, en France).
Leur abstraction illustre une géographie : le bleu de la Finlande contient l’image
de ses lacs, le blanc celle de sa neige et de ses nuits d’été. Les cinq bandes bleues
du drapeau grec condensent les cinq mers qui baignent le pays (mer Ionienne,
mer Méditerranée, mer de Crète, mer Égée, mer de Thrace). Ici, le drapeau
scelle un destin d’union nationale : la Roumanie et ses trois régions historiques,
Transylvanie, Valachie, Moldavie. Là, le drapeau consacre un régime civil : le
vert des catholiques, en Irlande ; l’orange issu de la Maison d’Orange-Nassau ;
PLATEAUX, LANGUES ET COULEURS
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