Page 158 - ELEMENTS EUROPA (FR)
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À la manière aussi de l’hôtel Occidental, à la fin d’Amerika, le roman
inachevé de Kafka, les ascenseurs d’Europa mettent en mouvement la
grande machinerie théâtrale dont commissionnaires et ministres sont les
acteurs intermittents. Les batteries principales, de six ou de huit cabines,
sont logées dans les noyaux de béton de la structure primaire du bâtiment,
reliant les travées du Résidence Palace aux salles de la lanterne. Aucune
échappée visuelle vers l’extérieur n’y est possible. La contrainte de
l’enfermement est surmontée grâce à un triple artifice : les cabines sont
vitrées ; les trémies, sur toute la surface de leurs 60 mètres de hauteur, sont
éclairées et revêtues sur trois côtés des mêmes décors polychromes de
Georges Meurant, qui ornent les plafonds, les portes et les sols, dans les
espaces les plus en vue, de bas en haut du bâtiment ; et le défilement des
ascenseurs le long des murs en patchworks de couleurs est pensé pour
transformer le court voyage en expérience kinesthésique. Les paliers eux-
mêmes, surmontés de faux plafonds formant une nappe de verre blanc
rétroéclairée, semblent interdire les ombres et laisser le décor des cages
d’ascenseurs iriser la lumière. L’impression domine d’une continuité dans
l’espace, depuis l’entrée dans le bâtiment jusque dans les couloirs et aux
portes des bureaux. L’échelle verticale de l’édifice n’est jamais perdue de
vue, la stratification des onze étages reçoit du galbe de la lanterne, le long
des galeries et des plateaux qui la cernent, un profil en plan et en coupe
plus étroit dans les étages centraux, plus spacieux dans les étages inférieurs
ou supérieurs. La courbure générale imposée dans le plan vertical par les
flancs généreux ou amincis du grand corps de plâtre s’harmonise avec les
plateaux disposés à l’arrière de la lanterne : parcours curviligne que l’on
suit le long des foyers et vestibules à la sortie des salles de conférence ou
qui rejoint les salles de réunion dissimulées derrière les baffles acoustiques
de la façade intérieure nord-ouest de l’atrium. La communication visuelle
à travers des trémies circulaires percées entre les étages aux niveaux
inférieurs participe de l’impression de continuité topologique et de limitation
volontaire des effets de répétition. Entre les ascenseurs, les paliers, les
galeries de circulation, il y a toujours, dit l’architecte, un paysage à regarder
et à partager, et le changement d’étage s’inscrit dans la continuité de la vie.
La mise en place des grandes fresques multicolores, à l’intérieur
des trémies, a demandé le plus grand soin dans la maîtrise des détails
techniques. La polychromie soigneusement élaborée par l’artiste requiert la
planéité de son support et des bords parfaitement ajointés entre ses figures
contiguës.